Quels principes pour le débat constructif ?

Il est difficile de débattre de manière constructive. Pour guider les participant.e.s et maximiser les chances que le débat soit fructueux, on peut essayer de se donner quelques principes, respecter certaines règles. Mais quelles règles seraient les plus propices au débat constructif ? D’où viennent les principes et les recommandations présentés sur la page d’accueil ?

On pourrait envisager un grand nombre de règles différentes, dont l’utilité varie sûrement selon les personnes et les circonstances. Ce qui serait bénéfique pour une personne ne le serait peut-être pas pour d’autres personnes. Pour y voir plus clair, on peut s’intéresser aux différents aspects des débats sur lesquels pourraient porter ces règles.

L’état d’esprit des participant.e.s

Le bon déroulement d’un débat, comme toute interaction sociale, dépend des dispositions des participant.e.s et de leur perception de l’interaction. Une personne qui ressent de l’animosité à l’égard de son interlocuteur.rice, par exemple, est moins encline à se focaliser sur les arguments. Ces dispositions ne sont pas évidentes à transmettre directement, mais les chercheur.e.s et les praticien.ne.s qui ont étudié ce qui fait le succès d'une interaction personnelle proposent souvent des recommandations qui peuvent aider. Par exemple, essayer de faire preuve d'empathie envers son interlocuteur.rice, de rester curieux, etc. Dans le cadre plus précis de la discussion argumentée, des recommandations similaires ont été émises par les personnes qui ont de l’expérience dans la pratique des échanges argumentés, par exemple les partisans de la street epistemology, où ces recommandations ont fait leurs preuves sur le terrain.

Les prises de parole des participant.e.s

Pour qu’un débat progresse, les interventions des participant.e.s doivent être pertinentes. Par exemple, une personne qui prend soudainement la parole pour parler de quelque chose qui n’a rien à voir avec le sujet du débat, ou bien une personne qui attribue faussement à son interlocuteur.rice une certaine position, ne respecterait pas les exigences d’un bon débat. La plupart de ces principes – bien rester sur le sujet du débat, ne pas décrire faussement la position de l’interlocuteur.rice, etc. – relèvent sans doute du sens commun, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient toujours respectés en pratique.

La validité des arguments et des raisonnements

Les participant.e.s au débat font appel à des arguments, qui peuvent être plus ou moins convaincants. Beaucoup de philosophes, de linguistes et de psychologues se sont penché.e.s sur les différents types d’arguments et de raisonnements afin de déterminer leur validité. Par ailleurs, les recherches expérimentales ont montré que dans certaines circonstances les humains font systématiquement des erreurs : on parle alors de biais de raisonnement ou d'heuristiques pour désigner les raisonnements, rapides mais approximatifs, qui expliquent les erreurs observées. Attention, il est courant de penser qu'il existe des types d’arguments qui seraient intrinsèquement invalides (qu’on pourrait ainsi qualifier de paralogismes ou de sophismes). Cette idée est plutôt rejetée par les travaux académiques, qui montrent que la validité de la plupart des arguments dépend du contexte dans lequel ils sont utilisés et des hypothèses implicites acceptées par les participant.e.s.

D’où viennent les règles et les recommandations proposées sur la page « Principes » ?

Les principes et les recommandations que nous présentons sur la page d’accueil sont donc un ensemble de règles parmi d’autres possibles. Les principes choisis mettent surtout l’accent sur l’état d’esprit le plus propice au débat constructif, comme la disposition à coopérer ou la bienveillance. Il nous semble en effet qu’il s’agit du principal obstacle auquel sont confrontées la plupart des personnes qui souhaitent mieux débattre, même si tous les autres points d’amélioration restent importants.

Quelques pistes pour aller plus loin

- Le psychologue David Burns propose cinq principes de communication efficace, qui traduisent des compétences d'écoute et d'expression de soi : la technique du désarmement (évoquer les points mentionnés par l'interlocuteur.rice avec lesquels on est d'accord), l'empathie, dans ses dimensions émotionnelle et cognitive, le questionnement sur ce que l'interlocuteur.rice pense et ressent, la préférence pour des phrases de type « je me sens » plutôt que de phrases accusant l'interlocuteur.rice, et l'utilisation de compliments (pour montrer votre respect envers votre interlocuteur.rice malgré la discussion difficile).

- La communication non-violente suggère de communiquer en clarifiant ce qui relève respectivement de la situation objective à laquelle une personne est confrontée, de son ressenti personnel à l'égard de cette situation, de ses besoins personnels, et de ses demandes concrètes.

- En linguistique, les théoricien.ne.s de l’approche pragma-dialectique se sont penchée.s sur la « discussion critique », dont le but est d'« évaluer des positions de manière aussi critique que possible par le biais d'une discussion critique systématique de leur acceptabilité » (A Systematic Theory of Argumentation, van Eemeren & Grootendorst, p. 188). L’idée est de découvrir les règles de sens commun que des individus qui débattent jugent acceptables. Les dix règles mises au jour incluent par exemple la règle de pertinence, selon laquelle on ne peut défendre une position qu'en apportant une argumentation qui lui est pertinente, ou la règle de la charge de la preuve, selon laquelle une personne qui avance une position doit la justifier si on le lui demande.

- Il existe de nombreuses manières de classifier les différents types d'argument. Walton, Reed et Macagno, dans Argumentation Schemes (2008), proposent par exemple une liste d'une cinquantaine de « schèmes » argumentatifs. La plupart de ces schèmes ne constituent pas des arguments « massue » qui apporteraient une preuve irréfutable. En effet, « [leur] conclusion peut provisoirement être acceptée en accord avec les données connues à ce jour sur le sujet, mais il se peut qu'elle doive être rétractée à la lumière de nouvelles informations » (p. 2). Leur validité repose souvent sur des hypothèses qui sont implicites. Ce sont donc ce qu’on appelle parfois des enthymèmes. Par exemple, un argument qui fait appel à l'autorité d'une personne experte repose souvent sur des hypothèses implicites sur ce que cette personne a vraiment dit, sur son champ d'expertise, sur la compatibilité de ses propos avec les propos d'autres experte.s, etc. (p. 310). Ce ne sont donc pas des arguments intrinsèquement fallacieux.

- Les recherches expérimentales en psychologie et en économie comportementale sur les biais cognitifs cherchent à mettre au jour des erreurs systématiques dans les manières de raisonner des individus, qui aboutiraient à des croyances fausses ou des mauvaises décisions. En identifiant ces biais, il devient possible d'agir pour s'en prévenir. Par exemple, le biais de confirmation est la tendance à se focaliser sur les éléments dans notre environnement qui viennent soutenir notre hypothèse plutôt que sur ceux qui la contredisent. Cependant, des auteurs insistent sur l'utilité et le caractère rationnel de ces raccourcis cognitifs quand ils sont utilisés dans la vie quotidienne.