Débattre sur des faits et des valeurs

Il est intéressant de distinguer les désaccords qui portent sur des faits et les désaccords qui portent sur des valeurs.

De façon approximative, les faits concernent tout ce qui existe dans le monde et dont nous pouvons faire l'expérience. Les théories scientifiques visent à décrire ces faits. Les valeurs, en revanche, correspondent à ce qui devrait être. Elles nous prescrivent ce que l’on doit faire, nos devoirs. Les théories éthiques et politiques visent à défendre certaines valeurs, normes ou devoirs. La distinction entre faits et valeurs fait l'objet de nombreuses discussions en philosophie. On l'associe souvent à ce qu'on appelle la « loi de Hume », selon laquelle il ne serait pas possible de conclure un énoncé normatif (donc portant sur des valeurs) à partir d'énoncés purement factuels.

Si l’on débat autour de la question « quelle est la production annuelle d'électricité issue du nucléaire en France ? », il s’agit d’un débat portant sur un fait. Si la question est « la liberté est-elle plus importante que l'égalité ? », il s’agit d’un débat « normatif », qui porte sur des valeurs. La plupart des questions qui font débat mélangent les considérations factuelles et les considérations normatives, elles relèvent donc à la fois de faits et de valeurs. Si l’on s’interroge sur une question politique comme « l'impôt sur la fortune immobilière est-il juste ? », il sera nécessaire de se pencher sur des considérations factuelles, comme la population qui est assujettie à cet impôt, ses modalités de calcul, etc. Il peut y avoir un désaccord autour de cette question pour des raisons factuelles, par exemple si l’on est en désaccord sur le revenu ou le patrimoine à partir duquel quelqu’un est assujetti à cet impôt, et/ou normatives, par exemple si l’on est en désaccord sur la valeur de l’égalité économique.

De nombreux concepts et expressions que l’on utilise couramment ont des aspects à la fois factuels et normatifs. En philosophie, c’est ce que l’on appelle des « thick concepts ». C’est le cas, par exemple, du concept de courage : pour faire preuve de courage, il faut avoir fait des actions exigeant un effort important (contenu factuel), mais il faut aussi que ces actions soient bonnes (contenu normatif) : c’est pourquoi on serait réticent à dire que quelqu'un comme Hitler a fait preuve de courage dans ses actions politiques !

Plus généralement, les considérations normatives et factuelles sont souvent étroitement imbriquées dans nos discours. C’est le cas dans des questions qui peuvent faire débat, comme les suivantes : le président a-t-il agi de manière courageuse ? Les fœtus sont-ils des personnes ? La France a-telle une responsabilité dans le génocide rwandais ? Les énergies renouvelables sont-elles des technologies d’avenir ?

Pour débattre de manière constructive, il est souvent utile de démêler ce qui relève des faits et des valeurs dans ce que l’on dit. En effet, les débats de faits et de valeurs ne se résolvent généralement pas de la même façon. On peut parfois faire progresser un désaccord portant sur des faits en mobilisant des études scientifiques, ce qui n’est généralement pas le cas d’un désaccord portant sur des valeurs.

Ensuite, des malentendus peuvent facilement survenir quand on n’explicite pas ce qui relève de nos valeurs. Par exemple, on utilise souvent des concepts qui sont « chargés » en valeur, comme celui de courage, sans s’en rendre compte, ce qui peut induire en erreur notre interlocuteur.rice.

Enfin, en démêlant les deux, il est souvent possible à l’issue du débat de se mettre d’accord sur les faits tout en restant en désaccord sur les valeurs, ou vice versa. Si les participant.e.s étaient au début du débat en désaccord sur un énoncé qui mélangeait faits et valeurs, il s'agit d'un progrès évident : des points de consensus ont été trouvés et les participant.e.s ont mieux compris la source de leur désaccord.

Conseils pratiques :

• Faites attention aux idées qui semblent ambiguës quant à leur caractère factuel ou normatif, et demandez des clarifications à votre interlocuteur.rice quand une ambiguïté est présente. N’hésitez pas à utiliser des concepts qui sont explicitement normatifs, comme « bien », « mal », « juste » ou « injuste », pour clarifier les choses.

• Vous pouvez apprendre énormément d’une discussion avec quelqu’un qui a des valeurs très différentes même si un débat sur les valeurs ne vous intéresse pas, si vous parvenez à vous focaliser sur vos désaccords factuels (et vice versa).